Arts martiaux

 

 

LE KYUDO
OU TIR A L'ARC JAPONAIS

Un art d'harmonie et de sagesse

 

   Peu connu du grand public, le Kyudo rassemble de plus en plus d’adeptes en France. Très différent du tir à l’arc sportif occidental, cet art martial traditionnel se présente comme une fabuleuse école d’adresse, de patience et d’harmonie.

   Le Kyudo est une des dernières disciplines de combat qui demeure reliée à la grande tradition du Budo japonais (Voie des guerriers) et qui conserve dans le cadre-même de sa technique un esprit, une philosophie. Cet art martial très subtil puise ses sources dans l’Histoire militaire du Japon la plus reculée. De tous temps, l’arc (yumi) fut célébré dans l’Empire du Soleil Levant. Durant des siècles, les archers japonais ont pu jouir d‘une formidable renommée pour leur dextérité tant au tir à pied qu’au tir à cheval. On ne compte plus les chroniques faisant état de prouesses vertigineuses attribuées  à un très grand nombre de tireurs habiles et valeureux. Un des plus célèbres fut sans doute Tametomo (12ème siècle). On raconte que ce guerrier intrépide pouvait transpercer deux hommes d’un seul trait. L’exploit de Wada Daihachi mérite également d’être cité. En 1686, cet archer réussit à décocher cinq flèches par minute pendant 24 heures d’affilée dans l’enceinte d’un palais de Kyoto...
   Avec le développement des armes à feu, l’arc a peu à peu perdu le rôle qu’il occupait au combat. Pourtant, sa pratique s’est perpétuée au fil des époques. Après avoir subi l’influence de nombreux courants taoïstes, shintoïstes et Zen, la technique meurtrière de l’arc s’est progressivement transformée pour laisser place à cette forme de tir beaucoup plus pacifique que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de « Kyudo » (Voie du tir à l’arc).
   Généralement fabriqué par un maître artisan, l’arc du Kyudo est très majestueux. Constitué d’un assemblage de lamelles de bambou et de bois spéciaux, il présente la particularité d’être de forme dissymétrique et de posséder une longueur assez étonnante : 2 M 20 environ ! La corde de l’arme (tsuru), quand à elle, est faite de chanvre tandis que les flèches sont confectionnées à partir de tiges de bambou minutieusement séchées.
   Contrairement à l’archerie sportive moderne pratiquée en Occident, le Kyudo ignore la compétition. Avec l’arc japonais, c’est la qualité profonde  du tir, tout au long de son exécution, qui est principalement recherchée par le pratiquant. Lors du tir d’entraînement, l’archer ne décoche que deux flèches. Le rituel, omniprésent dans le Kyudo, comporte une série de mouvements et de gestes que la pratiquant exécute lentement, en silence et avec grand soin.
   Tout d’abord, il y a les saluts traditionnels (que l’on retrouve dans tous les arts martiaux) à l’adresse du maître, de la salle d’entraînement (dojo) et de l’arme que l’on s’apprête à utiliser. Ensuite, le kyudoka effectue un certain nombre de déplacements très codifiés, place son arc à son côté, dénude son épaule gauche, prépare les deux flèches qui serviront au tir, enfile le gant de cuir qui lui permettra de maintenir la corde sans se blesser les doigts.
   Puis vient le tir en lui-même. Il se déroule de façon très précise. Dans un premier temps, le tireur choisit sa distance par rapport à la cible, fixe son équilibre et se met en bonne position de stabilité (Ashibumi). L’archer stabilise ensuite sa posture et porte son attention sur une respiration abdominale rythmée. Il s’agit ici de bien décontracter le plexus solaire et de bien respirer par le ventre de manière à faire circuler l’énergie en soi (Dozukuri). Dans la position Yagamae, le kyudoka parfait la saisie de son arc et encoche la flèche. Puis, en faisant partir le mouvement des hanches, il lève calmement l’arc au-dessus de lui en le bandant, sans aucune contraction musculaire, sans bloquer les épaules (Uchiogoshi). Le tireur descend ensuite l’arc en accentuant la poussée sur le bois de l’arme et la traction sur la corde (Hikiwake). Le placement est maintenant parfait et « l’union » dans l’acte du tir peut se faire (Kai). L’archer est en harmonie avec son geste. Son corps est désormais entièrement décontracté. Par une rotation légère du poignet, il dégage alors la corde. L’arc se détend et la flèche s’échappe (Hanare).
   Un des grands maîtres du Kyudo, Awa Sensei (1880-1939), expliquait que la main devait toujours s’ouvrir naturellement et lâcher la flèche « comme la main d’un enfant ». Le lâcher est accompagné d’un cri nommé Kiaï qui exprime la libération de l’énergie de l’archer. Après le départ de la flèche, le kyudoka conserve un moment son regard attaché à la cible et suit par la pensée sa flèche continuer son trajet au-delà de la cible (Zanshin). Le tir se poursuit mentalement. C’est seulement après cet instant que l’action de l’archer peut être considérée comme achevée.
   Bien entendu, toutes les phases du tir ainsi décomposées constituent les éléments d’un ensemble indivisible, d’un tout. La pratique de la respiration abdominale est, comme nous l’avons vu, fondamentale en Kyudo. C’est elle qui relie tous les moments du tir. C’est par elle que le kyudoka rassemble toute sa potentialité, toute son énergie (ki) dans le ventre (hara). C’est également à partir de cette respiration que l’archer va acquérir la disponibilité d’esprit et la sérénité nécessaires à un tir à la cible maîtrisé.
   L’apprentissage du Kyudo se fait de manière très progressive et réclame un grand travail de relâchement et de souplesse. Comme c’est le cas pour toutes les disciplines, il exige une pratique régulière. Le Kyudoka étudie patiemment la coordination précise et contrôlée des mouvements, veille à conserver des positions correctes, reproduit inlassablement les exercices qui le mèneront à affiner son tir et à la découverte en profondeur de son art.
   Le kyudo appartient à la famille des arts martiaux japonais qui se proposent de favoriser un bon équilibre physique et psychique et de restaurer harmonie et sagesse. Un moyen, pour les familiers de cette discipline, de trouver à travers l’arc et la flèche le vrai rythme de son corps, le vraie rythme de sa vie.

                                                                                                                                                                                          Didier Robrieux

 

DR/© Didier Robrieux