DISQUES

Sans titre

 

 

 

 

 

            

     Jazz / World music

INÉBIA

Un album chez

Alien Beats Records


     Les membres d’Inébia — Vincent Pagliarin (violon), Olivier Mugot (guitare), Marie Mifsud (voix), Philippe Henner (basse), Pascal Henner (percussions) — le disent eux-mêmes : l’objectif principal assigné à leur premier album est une invitation à partager une suite de pérégrinations menées dans des ailleurs culturels et esthétiques à la croisée du jazz et de la world music. La démarche musicale de ce collectif s’appuie également uniquement sur des compositions imaginées par Vincent Pagliarin et Olivier Mugot.
    Le CD ne concède rien au convenu. La rectilignité n’est pas la marque distinctive de la musique de ce projet discographique, musique qui aime d’évidence les courbes, les sinuosités, qui se plait à faire des pas de côté, à commettre écarts, transgressions et rebondissements.

    Un des axes d’interprétation de l’enregistrement privilégie les montées progressives de tempo et d’intensité sonore (crescendo). Douceur, calme et longueur de temps règnent au début des morceaux puis, degré par degré, le jeu enfle, s’amplifie, s’accélère, se décuple, voire explose. C’est le cas notamment de Jasmin, paisible et mélancolique mélopée abordée par le violoniste et la vocaliste du groupe qui se densifie peu à peu pour se montrer plus orageuse, plus effervescente. Le solo décidé, vibrant, du violon fait ici impression comme d’ailleurs celui zélé et déferlant du guitariste.
   
Heurtée et haletante, exquise et suave, rude et surchauffée, la création intitulée Inébia, qui s’« orientalise » à plaisir, est tout cela à la fois. En ouverture de Sur la route, la chanteuse de l’orchestre chantonne. Une lenteur pathétique, une sorte d’atmosphère de vague à l’âme semblent prévaloir. Thème et variations au violon, improvisation étendue à la guitare, sont formidablement bien exprimés avant que l’accentuation, la brillance, le déferlement — qui ne manquent pas forcément de mérites — ne s’invitent.
   
Le regroupement original des intervenants de ce quintet (violon, guitare, voix, basse, percussions) produit pour l’occasion d’heureux résultats. La participation de Vincent Pagliarin est celle d’un musicien savant mais aussi celle d’un troubadour inspiré. Son violon épate et charme par sa verve nourrie, quelquefois lyrique, mais toujours dénuée de fatuité, d’ostentation. Une intention profonde, de belles sonorités à l’archet.
    Sous la bannière d’Inébia, Olivier Mugot, quant à lui, en preux ardent de la guitare sur le blason duquel figure une importante composante rock, libère sa flamme ! Mais en regard, le guitariste montre aussi, sur certains titres, une toute autre face de ses moyens artistiques, à savoir un goût pour les ballades et la maîtrise d’une expression épurée, délicate, attentive.
   
Dans l’album, Marie Mifsud, dont on connaît les qualités de chanteuse — timbre magnifique, palette incroyable, puissance étonnante, justesse sans défaut, potentiel autant « jazz-rock-fusion-contemporain » que « lyrique-classique » — performe avec cœur et intensité. Alors qu’elle déploie son art du scat dans la quasi-totalité des plages du CD, Marie Mifsud interprète également une composition comprenant des paroles : Vol de nuit. Le thème est excellent. Délaissant, en partie, le sillon « non-conformiste », la soliste apporte au motif central de cette pièce musicale un sens mélodique harmonieux, plus conventionnel, qui procure un très agréable plaisir. Vol de nuit reste dans la mémoire.
   
La rythmique, pour sa part, offre une assise primordiale, du tempérament, des couleurs uniques à l’ensemble. Ordonnateur du temps fin et exigeant, Philippe Henner balance quand cela doit balancer; Pascal Henner accommode avec talent ses battements métissés. Leur cohésion constante s’observe par exemple dans le cours arabo-andalou d’Djidjiléria qui met notamment en évidence deux chorus de leurs façons.
   
Mentionnons enfin Teachers and Students. Un beau leitmotiv puisé aux sources africaines prélude et fait retour à la fin de ce titre par ailleurs joué et chanté bossa. Tempo cool et dansant, voix qui se laisse porter. Là encore un morceau aux forts contrastes qui ne manque pas de caractère.

                                                                                    Didier Robrieux

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* Une interview de Pascal Henner (décembre 2021) et un article sur un CD de Marie Mifsud (avril 2017) sont aussi consultables en rubriques « Articles / Jazz » et « Articles / Jazz - Disques » de ce site.

[ Mai 2023 ]
DR/© D. Robrieux