Jazz, goût créole

Veronique herman sambin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Véronique Hermann Sambin
à Marciac

 

    Sydney Bechet célébrait jadis les rues d'Antibes, ville où le grand rendez-vous jazzistique annuel que l'on sait a vu le jour. Mais les ruelles du village de Marciac (Gers), désormais célèbre haut lieu du festival Jazz in Marciac (quinze premières semaines d'août), ne sont pas mal non plus.
    Sous les fraîches arcades de la place centrale, dans les travées adjacentes rôties à souhait par un soleil féroce, aux abords de l'église Notre Dame et près des parkings aux champs, de la galerie de Perry Taylor (dessinateur humoristique et bon génie de la gasconnade) jusqu'à la terrasse de La Petite Auberge (pour l'assiette de jambon ou l'omelette aux cèpes), en passant par toutes les autres voies de passage traversières, placettes, impasses, cours intérieures... tout est jazz !

    Marchands ambulants, boutiques de curiosités, disquaires, buvettes, restaurants occupent le terrain. Des visiteurs par centaines arpentent les lieux, stationnent aux terrasses des brasseries ou sur les chaises disposées devant les diverses scènes "off", se rendent au grand chapiteau (6000 places!) ou en reviennent. Un public d'amateurs décontracté, ravi, sourire aux lèvres, acquis à la gentillesse et au chapeau de paille, reconnaissants de la convivialité amicale des habitants locaux et réunissant toutes les générations.

    Samedi 13 août,18h 30, zone des parcs de stationnement périphériques du festival.
   On fait le choix de rejoindre la place centrale à plusieurs centaines de mètres de là, place où se situe une scène musicale de belle envergure. Beaucoup de monde et d'animation toujours dans les rues; la chaleur ne se dément pas. Des bribes d'airs de jazz s'échappent de temps à autre d'une fenêtre d'appartement ou de maison aux battants grands ouverts. On progresse dans les dédales du vieux village. Une clameur lointaine mais plus puissante que les autres se fait soudain entendre en provenance de la place centrale. Là-bas, de robustes amplis ont visiblement pris l'ascendant!  On joue !

   On se rapproche. Des sonorités de jazz de plus en plus vigoureuses parviennent. La musique se fait progressivement plus distincte; elle opère comme un aimant : c'est The Sidewinder, le fameux titre de Lee Morgan. Un peu ralenti par la foule, on accède enfin au périmètre du concert où l'orchestre fait un tabac. Sur l'estrade, une chanteuse interprète le morceau. Sa voix fait merveille parce qu'elle possède un timbre plein et stylé, parce que cette voix est supérieurement bien placée mais aussi parce qu'elle livre à l'oreille — y compris sur ce fond de rythme saccadé — un grain mélodique délicieux : celui de la langue créole. On adhère de suite avec enthousiasme à cette version de The Sidewinder au goût antillais que l'on doit en l'occurrence présentement à la chanteuse guadeloupéenne Véronique Hermann Sambin.
    En cette fin d'après-midi, l'artiste se trouve en compagnie du saxophoniste Xavier Richardeau (instrumentiste colossal), du pianiste Damien Argentieri (soliste et sideman profond, délicat), du batteur Romain Sarron (forte personnalité réclamée sur les meilleures scènes) et du contrebassiste Felipe Cabrera (talent d'origine cubaine partie prenante notamment dans l'enregistrement du CD "Yo" de Roberto Fonseca). Lors de cette session, Véronique Hermann Sambin nous fera l'honneur de chanter quelques unes de ses compositions et d'autres morceaux encore mais, dans le registre jazz, c'est ce qu'elle accomplit en créole avec le The Sidewinder qui décoiffe tout !
    Notre langue française qui sait être si belle avec Molière, Baudelaire, Hugo, nos romanciers du XVIIIe, etc., ou encore avec Barbara, Brassens, Piaf, Trenet, par exemple, ne se prête pas toujours, il faut bien le dire, au jazz vocal. Les paroles chantées en français accrochent, se contrarient souvent avec le swing, avec la forme esthétique du jazz. L'ajustement du phrasé, des inflexions, l'alignement du feeling, de la fluidité n'y sont pas. En revanche, la langue antillaise avec ses douceurs, ses liaisons gracieuses, se marrie miraculeusement bien avec lui. Sur tous les tempos.

                                                                                               Didier Robrieux

 

Écouter // Voir :

The Sidewinder
https://www.youtube.com/watch?v=Em-kcvRvfRI

 

[ 2016 ]
DR/© D. Robrieux