Une pratique brésilienne
Sur un air de Capoeira
La Capoeira est une discipline pugilistique très populaire du côté de Rio de Janeiro. Grâce, souplesse et vitalité sont au programme.
Elle est leste, subtile, nerveuse, épicée. Elle a du caractère. Elle a du punch. Son nom : la Capoeira ! Pratiquée par un grand nombre d'amateurs brésiliens, la Capoeira est une forme de danse traditionnelle qui se double d'un art martial où se mêlent voltige, boxe et savate. Mais c'est sans doute son histoire qui définit le mieux cette discipline corporelle et sportive pas comme les autres.
La Capoeira naît au temps de l'esclavage. Colonisé par le Portugal dès le XVIe siècle, le Brésil eut très tôt recours à la main-d’œuvre noire pour assurer son développement économique. Des milliers d'hommes et de femmes originaires de toutes les régions d'Afrique furent alors arrachés à leurs milieux, transportés de force sur le territoire brésilien et affectés aux besognes les plus rudes. Durant ces époques sombres, les moments de loisirs accordés aux esclaves étaient strictement limités et étroitement surveillés. Tout ce qui pouvait ressembler à une velléité d’organisation de révolte ou à un soupçon d'exercice de combat était sévèrement prohibé et réprimé.
Lors des courtes périodes de repos qui leur étaient octroyées, les Noirs étaient en revanche autorisés à pratiquer la danse, la musique, leur folklore. Confrontés à cette condition difficile, les esclaves contournèrent très vite la situation en créant de toutes pièces une danse - la Capoeira - qu'ils truffèrent petit à petit de techniques d'arts martiaux. Ainsi, le tour était joué. En faisant mine de s'adonner à des rythmes et à des rituels innocents, ils pouvaient s'entraîner au combat au nez et à la barbe de leurs surveillants. Le nom-même de Capoeira reste directement lié à cette époque de l'esclavage. En portugais, ce mot signifie "cage à poules", appellation jadis utilisée par les esclaves pour désigner les enclos grillagés qui leur servaient de cellules dans les soutes des bateaux négriers.
En 1888 fut décrétée l'émancipation des Noirs au Brésil. Rendus à leur liberté, nombre d'entre-eux se retrouvèrent sans ressources. La Capoeira continua à se pratiquer dans les ghettos des grandes zones urbaines. Elle devint un moment la technique de prédilection des voyous avant de se voir interdite. Il faudra attendre les années 30 pour qu'on la réhabilite officiellement au Brésil et qu'on autorise à nouveau son enseignement. Depuis, la Capoeira n'a cessé de se développer sur le sol brésilien. Et aujourd'hui, Noirs, Blancs, individus de toutes couleurs, hommes et femmes, s'y entrainent un peu partout dans le monde.
Un tournoi de Capoeira est un spectacle extraordinaire de vitalité qui ne peut laisser indifférent. D'abord, il y a la musique typique : chaleureuse, enivrante, débordante d'énergie. C'est le birimbao qui donne le ton du combat. Le birimbao est un instrument à corde en forme d'arc doté d'une calebasse. On raconte que les esclaves l'utilisaient pour se prévenir les uns les autres de l'arrivée des propriétaires sur les lieux des plantations de café ou de canne à sucre.
D'autres instruments de percussion viennent accompagner le birimbao : les congas (sorte de grand tam-tam), le pandeiro (tambourin) et l'agogô (cloche que l'on frappe avec une tige de métal). L'ensemble produit une formidable ambiance de musique et de rythmes particulièrement stimulante (difficile, à vrai dire, de rester river sur sa chaise lorsque l’on écoute de la musique brésilienne!...).
Quand arrive le moment du combat, les protagonistes-musiciens se disposent en cercle et jouent. A un signal, deux capoeiristas rompent les rangs, se placent au milieu du groupe et se défient. Ils se touchent fraternellement la main et la lutte commence. C'est alors un festival de sauts en souplesse, de pas de danse (ginga), de roues effectuées sur les mains et magistralement contrôlées, de déplacements au raz du sol, d'esquives, de bonds, de coups portés avec les poings, les coudes, les pieds, la tête. Les mouvements et enchaînements sont très circulaires, souvent réalisés en position basse ou accroupie. À l'inverse, d'autres techniques se déploient à hauteur normale avec une foudroyante amplitude. C'est le règne de l'agilité, de la grâce, du rythme, mais aussi celui - plus âpre - de la bagarre, parfois soutenue et très rapprochée.
Le birimbao s'échauffe. La musique monte. Le tempo du duel s'accélère. Les protagonistes donnent encore plus d'énergie. Les frappes, les équilibres, les rétablissements sont proprement étonnants. A l'entrainement, lorsque l'un des lutteurs est épuisé, le professeur désigne un autre combattant qui vient le remplacer et le tournoi se poursuit. Lors des combats réels, le vainqueur est celui qui parvient à faire sortir l'adversaire du cercle, à le faire tomber ou encore à lui administrer un KO. Au Brésil, il existe une Capoeira de compétition avec des règles précises et des championnats parfois très violents. On connait en Europe une forme de pratique plus "douce" dépourvue de dangers où les coups sont retenus, une forme de pratique plus pacifiée et plus festive qui se tient avantageusement à distance des excès d’une bien inutile quête de performance brutale. De nombreuses femmes fréquentent les cours de Capoeira avec assiduité et passion.
Concernant l'esprit qui préside à cette pratique, signalons qu'on trouve chez les capoeiristas beaucoup d'autodiscipline, de fraternité, de dignité, de respect vis-à-vis des instructeurs et entre adversaires. En dépit de ses lointaines origines tragiques, la Capoeira n'est pas une discipline qui engendre la mélancolie. On sent dans cette boxe-savate brésilienne un bouillonnement de vie, de malice et de jovialité assez exceptionnel.
Didier Robrieux
DR/© Didier Robrieux