Jazz actuel

Peirani 1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

VINCENT PEIRANI,

paladin de l’accordéon jazz

 

    Le théâtre de Sens (Yonne) a fait salle comble le samedi 26 janvier 2019 à l’occasion d’un concert assuré par le quintet de l’accordéoniste de jazz Vincent Peirani. Prévu et attendu comme participant à ce show, le saxophoniste Émile Parisien n’était pas présent. Le public a-t-il pâti de cette absence ? Nul ne le saura jamais. Ce qui est certain, en revanche, c’est que son remplaçant, le trompettiste Sylvain Bardiau, a su donner une pleine et stimulante dynamique à cette soirée musicale. Tony Paeleman tenait pour ce spectacle le piano électrique, Julien Herné, la guitare basse et Yoann Serra, la batterie.
    Dès le début du concert, l’attention s’est bien sûr portée de façon un peu automatique vers le leader de la formation : Vincent Peirani. Ce soir-là, Vincent Peirani, haute et solide allure, portait un petit chignon façon samouraï des temps jadis. Sa musique n’a cependant rien de guerrière sans être pour autant ni timorée ni douillette. En effet, lors de cette représentation sénonaise, il ne fallut guère de temps pour s’apercevoir que l’énergie, l’intensité, l’engagement physique des musiciens ne se démobiliseraient pas un seul instant. 

    Vincent Peirani est une des figures de proue du jazz actuel. Il va de succès en succès tant au niveau national qu’international. Pour lui, il est loin le temps où, durant ses études, on ironisait parce qu’il jouait de l’accordéon. Il est loin le temps où il était refusé dans les jams et les clubs jazz de la Capitale parce que son instrument était jugé trop ringard. Il est loin le temps de toutes ces galères. Aujourd’hui, c’est plutôt un tapis rouge que l’on déroule sous ses pieds et c’est entièrement mérité.

    Né en 1980, très tôt en contact avec le monde de la musique par son environnement familial et après une enfance ponctuée par un apprentissage de conservatoire à Nice, Vincent Peirani décroche une kyrielle de diplômes et de distinctions : deux premiers prix en accordéon classique et en accordéon jazz obtenus au CNSM de Paris, lauréat du Prix Django Reinhardt en 2013, Victoires du Jazz en 2014 et 2015. Projets et représentations publiques se relayeront ensuite sans interruption.

    Des préventions de bon ou mauvais aloi peuvent se manifester ici et là à propos de l’approche musicale très contemporaine de ce musicien mais quand on le découvre sur scène, les cordes sensibles sont comme remuées, ébranlées. Il parvient à nous entrainer dans une aventure esthétique à laquelle on n’était pas forcément prêt, il réussit à gagner notre réceptivité et à déclencher surprise et enthousiasme.
   
Travail virtuose à l’accordéon, présence sur le plateau simple et directe… Vincent Peirani mène le jeu dans cette salle sénonaise avec un format de quintet donc, mais un format de quintet qui présente quelquefois une expression et une ampleur sonore d’orchestre symphonique. Sur un terreau constitué principalement de compositions, le langage Peirani fait croître sa singularité : musique très travaillée pourvue de découpages savants, mille combinaisons de rythmes, de breaks, de contretemps, binaire straight majoritaire, swing à minima, un jazz « électrique », une « énergie très rock » (comme se plait à le dire l’accordéoniste lui-même) avec des infiltrations pop, punk, free. L’oreille attrape également au vol du Zappa, du Prince, des ballades irlandaises, du contrepoint, de la musique sacrée.
    L’accordéon dessine l’édifice musical et chante. Souvent en première ligne, Sylvain Bardiau montre une précision impressionnante à la trompette. La guitare basse de Julien Herné tâte parfois, quant à elle, de l’expérimentation sauvage. Tony Paeleman au Fender Rhodes pousse (peut-être abusivement à une ou deux reprises) ses effets électroniques tandis que les drums, droits comme la justice, ne font pas de quartier (il faudra que le batteur Yoann Serra nous dise comment l’on réussit — ainsi qu’il y parvient — à être à la fois âpre et rond à la batterie indépendamment du fait d’être doté d’un bon instrument et d’une sonorisation parfaite in situ ! Magnifique !).

    Deux heures de concert… et pas de longueurs, pas de remplissage, pas d’ennui. Pas un seul instant le besoin de s’évader mentalement de cette session en souhaitant que l’orchestre passe à autre chose. Pas un seul instant, l’envie de consulter sa montre !

    Ovations accentuées notamment pour le prodigieux Clown sauveur de la fête foraine ainsi que pour Enzo et ses beautés de timbre interprétées à l’accordina, sans faire l’impasse sur une brillante et saisissante adaptation du Cold Song de King Arthur de Purcell.

                                                                                                     Didier Robrieux

[ 2019 ]
DR/© D. Robrieux