Jazz New-Orleans

Laferriere 3

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Marc Laferrière
au festival de Vauluisant

 

   Le saxophoniste soprano et chef d'orchestre de jazz New-Orleans Marc Laferrière avait promis de marquer son quatre-vingtième anniversaire par un concert dans le cadre du festival annuel de l'Abbaye de Vauluisant dans l'Yonne. Avec un petit dépassement consommé de cinq mois sur les dates réelles de son état civil, ce fut chose faite ce samedi 13 juin.
   Pour ce spectacle, Marc Laferrière était accompagné de ses fidèles : Olivier Michaud (soubassophone, drums), Michel "Boss" Quéraud (trompette, clarinette), Déborah Tropez (drums, wasboard, vocal), Stan Laferrière (banjo, drums, vocal, mixage, arrangements). Trois autres musiciens avaient également été invités pour l'occasion : Aurélie Tropez (clarinette), Nicolas Montier (saxophone ténor) et Daniel Barda (trombone).  
   Audacieux, pétillant, un brin farceur, saxophoniste de haut vol, chef d'orchestre de premier plan, 40 années de carrière...  Marc Laferrière force l'admiration et le respect. On le voit ici, à Vauluisant, faire une nouvelle fois preuve d'une habileté musicale hors norme, d'une justesse de jeu irréprochable. Ses lancements de thèmes sont aussi foudroyants qu'impeccables, ses solos font mouche à tous coups, ses interprétations décapent. Devant une salle comble, il joue sans désemparer quand il n'arpente pas la scène allant volontiers d'un membre de l'orchestre à l'autre, distribuant clins d'œil ou consignes complices à ses partenaires, se mettant généreusement en retrait pour laisser la lumière aux musiciens attelés aux chorus, saluant les coups de maître de tel ou telle.  De la simplicité, de la bienveillance, aucune place pour la neurasthénie, Marc Laferrière met la joie dans son jazz.
   Au menu de cette session, un grand nombre de titres connus ou moins connus parmi lesquels : Big Butter and Egg Man, Perdido street Blues (Jelly roll Morton), Sweet Georgia Brown, On the Sunny Side of the Street, Chattanoogie Shoe Shine Boy. Des instants marquants avec un fabuleux Perdido (Juan Tizol) exécuté lors de son entrée en scène par Nicolas Montier (saxophone ténor), une version du Marchand de poissons (S. Bechet) créolisée à souhait, sans oublier les passages successifs et effrénés à la batterie, sur un mode "battle", de Déborah Tropez, Olivier Michaud et Stan Laferrière.
   Un moment de grâce aussi avec la clarinettiste Aurélie Tropez. Dans sa toute première prestation d'invitée, Aurélie Tropez nous a saisi avec Solitude de Duke Ellington. Un jeu très disert, beaucoup de notes, et pourtant bouleversant de simplicité, de sentiments bruts. Une clarinette infiniment mélodieuse qui laisse venir des "hachés" qui disent tout le poids du chagrin, de la tristesse. Pour l'accompagnement de ce Solitude, Stan Laferrière, au piano, a rempli son rôle de belle manière. Les mérites d'instrumentiste de Stan Laferrière laissent bouche bée. Ce dernier joue en effet indifféremment et avec grand talent du piano, de la guitare, du banjo, de la batterie... tout en ne négligeant pas le vocal. L’ordinaire de son activité dans le jazz est exceptionnel : concerts, arrangements, orchestration, composition, professorat, animation de master class, direction d’orchestre (il dirige notamment depuis 2005 le grand orchestre de jazz de l’armée de l’air). Lorsque que l'on connait les exigences du travail musical... chapeau bas !

   Le New-Orleans est un genre très typé du jazz du début XXème siècle (période 1917-1925). Il est souvent  perçu comme une vieillerie poussiéreuse et ringarde; il nous irrite ou nous rebute parfois par son aspect kermesse caricatural et folklorique. Tous les interprètes ne savent peut-être pas toujours lui donner sa chair. Si tant est que notre désir se soit émoussé pour cette musique ou que l'on n'éprouve aucun attachement pour elle, ce spectacle aura été ce ceux qui peuvent en redonner le goût ou éveiller l'intérêt des récalcitrants car, par sa qualité, il nous a offert un répertoire consistant, vivant, coloré, une saveur authentique. Il a su rafraîchir la mémoire du jazz et des peuples du jazz

Didier Robrieux

[ 2015 ]
DR/© D. Robrieux