Grand texte

Babette

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

KAREN BLIXEN

 

Le festin de Babette

 

 

    « C’est avec les beaux sentiments qu’on fait de la mauvaise littérature. », notait André Gide dans son étude sur Dostoïevski.1 Par bonheur, nombre de créations littéraires s’inscrivent en faux contre cette assertion. En effet, dès lors qu’un écrivain ou une écrivaine ne choisit pas de se complaire dans un sentimentalisme à deux sous ou dans un mélodramatisme outrancier, cet écrivain ou cette écrivaine ne va pas forcément engendrer un navet littéraire absolu parce qu’il ou elle a jugé nécessaire de mettre en avant dans son récit qualités de cœur, bonté, grandeur d’âme. Avec pour intitulé Le Festin de Babette, la nouvelle écrite par la romancière danoise Karen Blixen (1885-1962) illustre parfaitement cette disposition d’esprit, cette intention artistique tournée délibérément vers le souci d’autrui, le désintéressement, la générosité, la tolérance, la gratitude, l’humilité.
    
Désormais vieillissantes, deux sœurs vivent dans la plus grande austérité à Berlevaag, un port situé aux confins nord de la Norvège. Effacées, discrètes, besogneuses, Martine et Philippa représentent sans conteste les membres les plus respectées de l’importante communauté luthérienne locale. Vêtues de robes sévères, ayant renoncé aux « plaisirs de ce monde », elles s’emploient à mener une existence frugale, elles ont soin d’entretenir le souvenir de leur père pasteur décédé, elles veillent à servir les principes religieux les plus rigoristes affermis dans «la lumière de l’amour céleste », elles s’efforcent sans relâche de secourir pauvres et malheureux. 
    Depuis plus de quatorze ans, Martine et Philippa abritent sous leur toit une servante nommée Babette, exilée française qui a du fuir la Commune de Paris de 1871 dans des conditions tragiques. En raison notamment de ses qualités de probité, de loyauté, de courage, l’intégration progressive de cette « étrangère » au sein de la petite société de Berlevaag n’a rencontré nulles réticences. Son adoption en cette terre d’accueil norvégienne, véritable planche de salut, s’est déroulée parfaitement, naturellement, sans accrocs ni acrimonie. En dépit de quelques menues manifestations de réserve, la largesse d’esprit amicale déployée par ces deux sœurs ainsi que par leurs congénères piétistes à l’égard de cette servante — pour sa part résolument athée — mérite grand respect.
    Chapitre après chapitre, les surprises se succèdent. Un événement soudain... puis une initiative inattendue... puis un dénouement remarquable viendront souder définitivement les destinées de tous les protagonistes de ce récit magnifique..2 Cette courte nouvelle de Karen Blixen nous fait décidément préférer les beaux sentiments aux noirceurs cyniques et aux volontés destructrices qui plastronnent un peu partout dans le monde et qui sont de plus en plus de nos jours aux manettes. 

Didier Robrieux 

 

KAREN BLIXEN
Le festin de Babette
Ed. Folio Gallimard  

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1.    André Gide, Dostoïevski, Paris, Plon, coll. « La critique », 1923, p. 253.

2.    Dans ce texte excellent et radieux de Karen Blixen, seules quelques lignes narrant l’histoire d’un « grand roi nègre » anthropophage — restitution d’un cliché négatif bien connu ou d’un témoignage plus ou moins avéré — demeurent sujet à questionnement.  

 

[ Octobre 2025 ]
DR/© D. Robrieux