Nouvelle


Images 17

 

 

 

BIEN LE BONJOUR
VÉRONICA

 

 

 

Conte burlesque

 

 


   
Aujourd’hui, coup de projecteur sur la sublime
et très en vogue artiste-peintre Véronica Leboisin. Un entretien qui éclaire la personnalité hors norme de cette merveilleuse, incandescente et exceptionnelle coloriste.

 

David Murat-Flanchet : Bien le bonjour, chère Véronica. Et merci de nous recevoir dans votre superbe atelier du quartier Montparnasse à Paris. Ces derniers temps, vous avez réalisé plusieurs tableaux représentant des pommes tombées d’un panier... Vous avez intitulé ces tableaux : Avant la compote I, Avant la compote II, Avant la compote III, Avant la compote IV, etc. Quand pensez-vous que vos admirateurs pourront la déguster, cette compote ?  
Véronica Leboisin : Il faut d’abord savoir que la pomme, c’est moi. Et que la compote, c’est moi aussi... 
 
D. M-F. : Ah, la compote, c’est vous, Véronica ?...
V. L. : Exact ! J’incarne la compote. Et aussi la cannelle en poudre qui va la saupoudrer. PAS DE SUCRE !  En réalité, la compote est destinée à préparer le fond d’une jolie tarte. Tous mes Avant la compote sont des éléments esthétiques précurseurs en quelque sorte. Précurseurs d’une jolie tarte qui sera moi...

D. M-F. : Il est parfois difficile de vous suivre, de vous comprendre, Véronica. Vous êtes réputée — il faut bien le dire — pour utiliser un  jargon assez occulte lorsque vous parlez de votre peinture et de la peinture en général ?... 
V. L. : Ben voyons… Dites tout de suite que je parle mal de la bouche !

D. M-F. : Je ne vois pas avec quoi d’autre vous pourriez parler, Véronica, sinon qu’avec votre bouche ?...
V. L. : Ah bon. Vous ne voyez pas ?…

D. M-F. : Non, je ne vois pas.
V. L. : Vous ne voyez vraiment pas ?… 

D. M-F. : Non, Véronica.... 
V. L. : Bah… Il n’y a pas que la bouche… 

D. M-F. : Euh… 
V. L. : Vous voulez que je vous fasse un dessin ?...

D. M-F. : Euh… 
V. L. : Il n’y a pas que la bouche... Je pourrais parler avec les mains et vous caresser gentiment la joue, par exemple… 

D. M-F. : Oh ! Véronica ! C’est une interview… 
V. L. : Eh bien, on peut dire que vous avez l’esprit mal placé, vous alors !...

D. M-F. : Poursuivons Véronica… Vous avez installé sur la porte de votre atelier parisien un grand panneau sur lequel on peut lire : « Peintre cherche modèles pour poser nu. Voir à l’intérieur. Sonnez et entrez sans frapper ». Vous continuez à vouloir mettre tout le monde à poil, Véronica ? Il y a longtemps que c’est votre dada...
V. L. : Il n’y a rien de subversif ni de révolutionnaire à peindre des Nus. Peindre des Nus, c’est à mon sens se montrer au contraire affreusement conservateur, conformiste, traditionnaliste à la suite du Déjeuner sur l’herbe, de L’Odalisque, du Nu bleu, des Baigneuses, de La Naissance de Vénus et autres fresques de la chapelle Sixtine. Quoi de plus beau et de plus naturel qu’un corps nu ! Je vous le demande, monsieur Murat-Franchet ! Le corps nu, ce n’est pas nouveau que je sache. Ça date d’avant l’arrivée de la p'tite culotte, non ?!...  

D. M-F. : On raconte qu’un Maharadja est venu vous rendre visite récemment dans votre atelier de Montparnasse et que ce Maharadja était accompagné de ses sept tigres. Qu’est-ce que c’est que cette histoire, Véronica ? Vos admirateurs s’interrogent... 
V. L. : C’est exact. A ma demande, un Maharadja est venu me rendre visite dans mon atelier à Paris dernièrement.

D. M-F. : Un Maharadja !
V. L. : Oui, un Maharadja ! Mais il s’agissait d’un Maharadja très large d’esprit avec un cœur gros comme ça... et qui possédait également la particularité d’être très poilu. Sur un plan artistique, c’est la pilosité de ce Maharadja qui m’intéressait au premier chef. Je voulais peindre un Maharadjah à poils. 

D. M-F. : A poils ?
V. L. : Oui. A poils et à poil. 

D. M-F. : Vous vouliez peindre un homme qui soit Maharadja et poilu et nu ?... 
V. L. : C’est bien cela. A poils et à poil. 

D. M-F. : Formidable Véronica ! Vous faites maintenant dans le double poil ! Nous allons de surprise en surprise, nous ne sommes jamais déçus avec vous. Et les tigres ? Au nombre de sept, je crois ?...
V. L. : Oui. Sept. Pourquoi ? 

D. M-F. : Vous n’avez pas trouvé ces félins un peu trop — comment dire ?  — « envahissants » ?...
V. L. : Vous êtes bizarre, vous. Ce Maharadjah ne se déplace jamais sans ses tigres. Vous ne vous déplacez jamais sans vos chaussures, vous, non ?! Pourquoi voulez vous que cela me gêne ? Les tigres ont couché dans l’atelier. Ils ont regardé mes toiles. Ils ont joué comme des petits fous avec mes pelotes de laine. Par contre, je n’ai pas voulu qu’ils s’amusent avec mes aiguilles à tricoter. Ah, ça non !...

D. M-F. : Dans les fréquentes interviews que vous accordez aux médias, j’ai noté que vous indiquiez souvent que vous regrettez de ne pas pouvoir peindre plus souvent les Rouges, les Jaunes, les Bleus, les Noirs
V. L. : Ben oui. Par exemple, ils sont beaux les Noirs, non ? Il me semble !

D. M-F. : Oui, certains Noirs sont beaux, c’est un fait. J’abonde dans votre sens. J’ai connu beaucoup de Noirs et je le suis moi-même, noir, alors…
V. L. : Un Noir à poil, ça peut être un bon motif de travail pictural, non ? 

D. M-F. : Là, je ne sais pas, Véronica. Vous savez, nous autres, les Noirs, nous faisons plus habillés que les Blancs lorsque nous sommes à poil....
V. L. : Vous pensez que les Blancs font plus à poil, alors ?! Je n’en suis pas vraiment persuadée. Je reste sur mon idée première; cela me plait beaucoup mieux. 

D. M-F. : Dans vos entretiens avec la presse, vous ne manquez jamais également d’évoquer la puissante répulsion que vous éprouvez envers le bois ciré ? Ce n’est pas banal, cela non plus...
V. L. : Je n’aime pas les carottes râpées ni le bois ciré. C’est comme ça. Tiens ! Votre parapluie, là... 

D. M-F. : Mon parapluie ?...
V. L. : Oui, votre parapluie. Son manche est en bois ciré. Eh bien, je ne l’aime pas, votre parapluie !

D. M-F. : Vous n’aimez pas mon parapluie ? AAAAAt…choum !!!
V. L. : A vos souhaits, l’père ! A ce que je vois, vous avez toujours ce foutu coryza… comme les vieux chats. Quand vous m’aviez interviewé la dernière fois — il y a quinze ans de cela — vous viviez déjà entre deux mouchoirs. Vous prenez toujours des cours de claquettes au Centre américain ? 

D. M-F. : AAAAAt…. choum !!!
V. L. : Dieu vous bénisse !... Et ce grand roman fabuleux que vous aviez mis en chantier et dont vous m’aviez parlé à l’époque, où est-il ?

D. M-F. : AAAAAt…tchoum !!!
V. L. : A vos amours ! En parlant d’amour, vous êtes toujours avec la petite Joëlle Bergossian ?

D. M-F. : AAAAAt…. tchoum !!!... Je me permets de vous rappeler, Véronica, qu’en tant que journaliste venu vous interviewer, c’est moi qui pose les questions ! Vous n’aimez vraiment pas la presse, Véronica !
V. L. : Faux ! Je suis toute acquise à la presse ! Posez toutes les questions que vous souhaitez. 

D. M-F. : Cette femme furieuse, tout de vert vêtue, peinte sur l’une de vos toiles, émergeant à mi-corps d’un gros tas de neige et brandissant une aiguille à tricoter, est-ce un autoportrait, Véronica ?
V. L. : Oui ! Bien vu ! C’est un autoportrait ! Cette toile m’a été inspirée par un rêve que j’ai fait il y a quelques mois. Dans ce rêve, j’émergeais subitement d’un gros tas de neige qui s’était amassé sur l’esplanade de la gare du Nord, et munie d’une grande aiguille à tricoter, je me mettais à poursuivre une clique de critiques d’art qui voulaient s’en prendre à mon fils Joseph qui a aujourd’hui trois ans et qui vient tout juste de commencer le clavecin (Joseph a toujours aimé le clavecin). C’était affreux mais heureusement dans ce cauchemar, pas un de ces vautours de journalistes n’en est sorti vivant...

D. M-F. : Vous n’aimez pas la presse, Véronica. Vous n’aimez pas la presse...     

                                                                                        Propos recueillis par David Murat-Flanchet

 

 Didier Robrieux

 

[ Septembre 2025 ]
DR/© D. Robrieux

[Texte en recherche d’éditeur/éditrice]