Conte / projet juniors
BARBICHOU
Banquier de son métier, BARBICHOU brassait beaucoup, beaucoup de billets de banque et de lingots d'or. BARBICHOU était très riche et très satisfait de sa profession. C'était le plus heureux des hommes.
Il répétait souvent à ses amis en pétrissant avec délice sa chance et sa fortune :
— Ah ! Quelle merveilleuse profession que celle de banquier ! Pour rien au monde je n'en changerai ! Tiens, je préférerais sucer des cailloux plutôt que de faire un autre métier !
Mais alors que rien ne le laissait prévoir, le malheur vint soudain s'abattre sur les affaires de BARBICHOU. Par un mauvais jour sombre de novembre, tous les clients de la banque, sans exception, se présentèrent aux guichets et retirèrent au même moment et dans un même élan tout l'argent qu'ils avaient confié à BARBICHOU.
En un clin d'oeil, il ne resta plus un seul billet dans les coffres de la banque, plus un seul lingot d'or ! Et la banque fut obligée de fermer ses portes. BARBICHOU se retrouva subitement ruiné et sans travail. Comment une chose pareille avait-elle été possible ? Que s'était-il passé ?
Sans pourvoir parvenir à répondre à ces questions, BARBICHOU se retroussa les manches et se mit alors en quête d'un nouvel emploi. Il marcha, marcha longtemps dans les rues de la petite ville. Partout sur son chemin, il rencontrait les mêmes écriteaux qui disaient : "COMPLET" ou encore "PAS DE TRAVAIL".
Quel pétrin ! BARBICHOU était très triste. Il marcha, marcha encore longtemps dans les rues. A la mairie, on l'informa qu'il ne restait du travail que chez les pompiers, que chez les jardiniers et que chez les poètes. Comment une telle chose pouvait-elle être possible ?
BARBICHOU se présenta tout d'abord à la caserne des pompiers.
— Savez-vous éteindre un feu, monsieur BARBICHOU ? lui demanda le capitaine des pompiers.
— Ah, ça non, saperlipopette ! Je suis banquier de mon métier ! répondit BARBICHOU. Et...
— Eh bien, restez banquier, monsieur BARBICHOU ! lui répliqua le capitaine des pompiers sans le laisser achever sa phrase et en lui claquant la porte au nez.
BARBICHOU se présenta ensuite à la cabane du chef des jardiniers.
— Savez-vous planter les choux, monsieur BARBICHOU ? lui demanda le chef des jardiniers.
— Ah, ça non, mordiable ! Je suis banquier de mon métier ! répondit BARBICHOU. Et...
— Eh bien, restez banquier, monsieur BARBICHOU ! lui répliqua le chef des jardiniers sans le laisser achever sa phrase et en lui claquant la porte au nez.
Enfin, BARBICHOU se présenta chez le prince des poètes.
— Savez-vous rêver, monsieur BARBICHOU ? lui demanda le prince des poètes.
— Ah, ça non, bigre de bigre ! Je suis banquier de mon métier, répondit BARBICHOU. Et...
— Eh bien, restez banquier, monsieur BARBICHOU ! lui répliqua le prince des poètes sans le laisser achever sa phrase et en lui claquant la porte au nez.
BARBICHOU était de plus en plus triste et de plus en plus inquiet.
Qu'allait-il devenir ? Qu'allait-il devenir sans travail ? Il marcha, marcha encore longtemps dans les rues de la ville. Mais partout sur son chemin, il rencontrait ces mêmes panneaux désespérants sur lesquels il était invariablement écrit : "COMPLET" ou encore "PAS DE TRAVAIL".
Après des mois et des mois de recherche, après avoir frappé à des centaines de portes, BARBICHOU ne trouva pas de travail. Et un beau matin, il arriva ce qui devait arriver : il ne resta plus rien à manger dans son réfrigérateur !
Alors BARBICHOU — lui qui avait dit si souvent qu'il préférerait sucer des cailloux plutôt que de faire un autre métier que celui de banquier — en fut rendu à manger des cailloux. Il mangea tellement et tellement de cailloux qu'il se transforma très vite en une formidable statue de pierre au beau milieu d’une des places de la ville.
Quand on est statue, on a le temps de réfléchir. Et l'infortuné BARBICHOU, métamorphosé en monument, dut réfléchir beaucoup durant ces longues, ces très très longues années…
On était habitué à voir la statue de BARBICHOU dressée au centre de cette place publique. Elle faisait partie des curiosités locales que les habitants avaient plaisir à contempler, comme le joli clocher de l'église toute proche, comme le vénérable lavoir qui avait été préservé près de la rivière, comme les trois majestueux marronniers qui ornaient les abords de la mairie.
Un beau matin, toute la ville se réveilla stupéfaite ! La fière et belle statue de BARBICHOU avait disparu ! Elle s'était volatilisée — sans doute pendant la nuit — comme par enchantement, laissant une énorme place vide à son emplacement.
L'événement fit grand bruit et ce fut un terrible émoi dans tout le pays. Mais où était donc passée la statue de BARBICHOU ? Les uns disaient que BARBICHOU était devenu aviateur. Les autres disaient qu'il était devenu électricien ou encore agent commercial... Personne ne savait réellement ce qu'il était arrivé à ce pauvre BARBICHOU.
En vérité, BARBICHOU n'était devenu ni aviateur ni électricien ni agent commercial. Après qu’il eût été contraint de méditer immobile si longtemps sur son misérable sort, il avait été donné à BARBICHOU de quitter son état de statue de pierre, de descendre de son piédestal et de redevenir lui-même. BARBICHOU avait alors choisi de s’exiler salutairement à mille lieues de la ville et d'entreprendre un nouveau métier bien à lui : caresseur de chats.
Il faut savoir en effet que dans les territoires magnifiques et reculés où vit désormais BARBICHOU de nombreux chats font appel à ceux qui ont fait le choix de cette noble carrière de caresseurs de chats. On dit aussi que dans cette contrée-là nos aimables petits amis à moustaches ne manquent pas de rémunérer parfois fort grassement ces professionnels avisés dont ils recherchent de plus en plus souvent les services compétents.
Didier ROBRIEUX
[ Septembre 2025 ]
DR/© D. Robrieux